Louis, un trader à toute heure

Licencié à peu près en même temps que le début de la guerre du Golfe, Louis part de son entreprise avec une somme d’argent qu’il place en bourse. Surprise, il gagne très rapidement 38 000 €, soit 250 000 francs. À l’époque, cette somme était totalement exonérée d’impôt. Une fois ce plafond atteint, une taxe était prélevée sur chaque montant gagné. Néanmoins, ce principe avantageux en a tenté plus d’un et nombreux ont été pris au piège de l'argent facile. Avant de s’engager sérieusement dans ce domaine, Louis s’est d’abord entraîné avec des portefeuilles virtuels afin de comprendre le fonctionnement de la bourse sans payer les pots cassés en cas de mauvais placements. Perdre 5 000 € pour de faux, ce n’est pas grave quoique… Souvenez-vous vos parties de Monopoly, grisantes et endiablées même si ce n’était qu’un jeu !

Pendant son apprentissage, Louis a surtout compris l’importance de maîtriser les risques. L’activité est déjà suffisamment aléatoire pour s’affranchir de toute forme de prudence. Comme il le dit : "je connaissais tous les risques et toutes les conséquences pour 99,9 % des opérations que j’ai faites". Cependant, il ne suffit pas de connaître tous les secrets de la bourse, il faut aussi savoir maîtriser des applications et des logiciels très complexes.

Au fur et à mesure de sa pratique, Louis s’est fixé des principes : ne jamais jouer une somme qui pourrait mettre en péril son capital, ne jamais jouer après 17h lorsque la bourse ferme pour garder la main sur ses placements et être ultra-réactif. Une règle d’or : rester humble. Une belle opération n’est pas un gage de réussite systématique. Bien qu’il ne soit jamais bon de rester camper sur ses acquis, la bourse ne laisse que peu de répit. Louis explique qu’il est essentiel de connaître en profondeur les outils qui permettent d’afficher les différents cours de bourses en temps réel. Une fausse manip’ et c’est la catastrophe. Une dépendance à la technologie qui peut s’avérer inquiétante lorsqu’il y a un bug des machines, expérience vécue ! Louis attire également notre attention sur le fait que les marchés sont désormais très sensibles. Il illustre son propos en faisant allusion à certains tweets de personnalités politiques influentes qui ont particulièrement chahuté les cours de la bourse. Il suffit d’un petit grain dans les rouages pour que la machine s’emballe. Une question délicate est également abordée : Louis évoque sans sourciller le fait que les crises économiques et les conflits internationaux sont des périodes propices à l’enrichissement si l’on arrive à se placer du bon côté. Un propos discutable qui amène à se questionner sur l’éthique d’un tel métier, or c’est évidemment plus complexe que cela.

Comme l’explique Marie-Claude François-Laugier, psychologue et auteure du livre “Comment régler vos comptes avec l’argent?” Louis semble anesthésié lorsqu’il voit les marchés fluctuer. Raison pour laquelle il occulte totalement la problématique morale lorsqu’il s’agit de miser sur le dos de la guerre. On sait qu’elle peut rapporter très gros. S’il se restreint ou se retire des marchés en période de crise, quelqu’un d’autre s’enrichira à sa place. Marie-Claude François-Laugier explique la part de déshumanisation réelle dans ces métiers étroitement liés à l’argent. Il n’y a qu’à voir une salle des marchés pour se rendre compte de l’automatisation des gestes, l’enjeu est déjà tel qu’il serait encore plus complexe d’y ajouter un investissement affectif. Le manque d’humanité est ici une forme de protection. Ce métier aussi passionnant que prenant pose aussi la question de l’addiction. Louis confesse être insomniaque et par ailleurs, il semble toujours sur le qui-vive, jamais complètement ancré dans le temps présent. Peut-être doit-il marquer une pause ou diminuer ses activités dans le domaine pour laisser de la place à l’évasion et à la détente ? Toujours est-il que les fluctuations de la bourse ne rebutent pas les Français qui jouent de plus en plus jeunes comme l’affirme l’Autorité des Marchés Financiers⁽¹⁾. Elle s’appuie sur une étude Kantar publiée en 2021 qui affirme que la part des détenteurs d’actions de moins de 35 ans est passée de 11 % en 2019 à 18 % en 2021. À croire que tous les moyens sont bons pour vivre des sensations fortes !